jeudi 6 octobre 2011

RENAISSANCE DE LA TRAGÉDIE ?


PRINCIPES, OEUVREs, TRAGÉGIE 

(donnée à Paris le 4 décembre 2007 et à Lille le 6 février 2009, 
publiée en annexe de « Ponce Pilate », édition Via Romana, janvier 2009)

QU’EST-CE QUE LA TRAGEDIE ? Nous allons essayer de nous mettre d’accord sur une définition, en partant de celle qui est la plus généralement admise pour parvenir à l’acception la plus chimiquement pure.

Une « tragédie » est, en premier lieu, une pièce de théâtre qui finit mal. On se souviendra, à ce sujet, que « Le Cid », dont les héros Chimène et Rodrigue sortent vivants et même ne désespèrent pas de s’épouser un jour, parut d’abord sous l’intitulé de « tragi-comédie ».

Est-ce dire que, de bout en bout, le ton de la « tragédie » se doit de demeurer grave, sans aucune intrusion d’éléments comiques ? A observer la tradition classique française, sans aucun doute. C’est même ce qui oppose principalement la « tragédie » au « drame » romantique ou même naturaliste qui, se voulant une représentation totale de la vie, postulent le « mélange des genres ».

La séparation des deux registres – le tragique et le comique – aura la vie dure. Le mélange des genres que pratique Shakespeare avec une souveraine aisance, nous ne le trouvons correctement accompli, au XIXème siècle, que dans « Ruy Blas » et surtout « Cyrano de Bergerac ». Il faut attendre le XXème siècle, avec des œuvres grinçantes comme certaines pièces d’Anouilh, pour que notre théâtre s’y habitue vraiment.

Pour autant, ne négligeons pas que la tragédie et la comédie se rejoignent par le haut. Tel défaut inhérent à la nature humaine peut, en effet, engendrer une tragédie en même temps qu’il peut être stigmatisé comme un ridicule. Je pense ici, par exemple, à l’avarice ou à l’hypocrisie dans « L’Avare » et « Tartuffe » de Molière, que seuls quelques traits de farce et leur dénouement heureux font basculer du côté de la comédie. Après tout, le meilleur « mélangeur de genres » de notre théâtre, c’est peut-être Molière dans ses hautes comédies, sans qu’il ait prétendu appliquer une thèse préconçue.

Ce qui différencie encore la tragédie du drame romantique ou naturaliste, ou de certaines pièces modernes à tonalité sombre, c’est que les protagonistes de la tragédie sont exclusivement des personnages mythiques, historiques, des rois, des chefs d’Etat, de sorte que comme la tragédie grecque, sa devancière, la tragédie classique française se situe nécessairement au contact de la religion ou de l’histoire, dont elle se propose de tirer de hautes leçons à l’usage des spectateurs contemporains. Bien sûr, l’homme et la femme, et les ressorts psychologiques permanents de notre nature, sont exposés au public, mais au travers d’êtres d’exception, placés dans des situations extraordinaires et pourtant exemplaires.

Vous remarquerez que je laisse ici de côté la fameuse « règle des trois unités », qui me paraît quelque peu dépassée à l’heure du cinéma.

C’est donc de la tragédie, considérée comme un spectacle à tonalité uniformément grave, s’achevant sur un désastre, mettant en scène des personnages considérables dans un but d’édification morale, politique, religieuse que je vais parler ce soir. Reconnaissons qu’il ne s’agit pas là de la partie la plus visible de la création dramatique contemporaine : le devant de la scène est, en effet, largement occupé, après la disparition de Montherlant et d’Anouilh, par le théâtre de divertissement, à finalité essentiellement commerciale – même si de bonnes comédies de mœurs se laissent parfois observer – et par le théâtre d’avant-garde, grassement subventionné au titre d’un mécénat mal dirigé, par lequel divers histrions s’emploient à subvertir toutes nos valeurs et à couper notre peuple de ses vraies racines. Il n’en reste pas moins que sans la tragédie, le théâtre perd beaucoup de sa dignité et de son utilité.

Disant cela, je ne méconnais pas que le théâtre, dans notre société, est bien loin d’occuper la place… royale qui était la sienne au Grand Siècle, au zénith d’une civilisation brillante et raffinée. Mais le cinéma, la télévision, internet ne doivent pas faire illusion : encore aujourd’hui, l’art dramatique attire de nombreux talents qui, sans passer par lui, n’accéderaient jamais au cinéma ou à la télévision. Et malgré les mauvais traitements qui lui sont infligés par certains professeurs et metteurs en scène, notre théâtre classique demeure une référence.

Je conçois bien qu’envisager une « renaissance de la tragédie » au XXIème siècle puisse apparaître comme une gageure. Déjà, en 1978, Charles Rambaud, chroniqueur à « Permanences » et dramaturge, m’avait averti : « Je crains que rien ne soit plus inadapté (et peut-être, pour cela, nécessaire) à notre époque que la tragédie à cause de la dimension spirituelle des personnages, de leur hauteur morale à un moment où l’homme demande à l’œuvre d’art soit de le divertir, soit de le rassurer en lui montrant des personnages aussi médiocres que lui ».

A cette audace, je vais en ajouter une autre, puisque je vais même plaider devant vous pour la restauration de la tragédie en vers, que je tiens pour le meilleur de la tradition dramatique française !

En elles-mêmes, la versification, la poésie paraissent pourtant devoir être dissociées de la tragédie. D’abord parce qu’on peut parfaitement concevoir une excellente tragédie en prose ; ensuite, parce que la poésie n’est pas nécessairement destinée à la scène, un peu comme la musique est faite pour le concert autant que pour l’opéra. On peut même observer, par exemple dans le théâtre de Hugo, qu’un excès de lyrisme est nuisible à la qualité dramatique.

Pour autant, le débat qui avait opposé, précisément, Hugo, partisan du vers, à Stendhal, partisan de la prose, sur le style le plus adapté au théâtre n’est pas clos. Charles Rambaud, qui m’écrivait il y a trente ans : « Je crois à l’utilité de donner une forme moderne à l’expression de la vérité quand ce ne serait que pour dire qu’elle est actuelle ! » ou encore : « Le vers appelle une solennité ; elle fait partie du genre. La prose est quotidienne et je crois qu’il faut se rapprocher du langage quotidien et parler légèrement – par pudeur – des choses graves », ne me convainquit pas.

Mais ce débat peut-il être tranché dans l’absolu ? N’y a-t-il pas plutôt des sujets auxquels le vers convient mieux que la prose ou, à l’inverse, la prose mieux que le vers ? C’est, pour ma part, à cette position que je m’arrêtai dès la première préface de « TIBERIADE » (1975) : « Nos chefs-d’œuvre classiques sont applaudis et vécus au point qu’on imagine mal des personnages historiques, du moins jusqu’en 1789, s’exprimant autrement qu’en vers : leur langage de scène, dû tout entier au génie de nos poètes, est devenu vraisemblable, au risque de faire sourire l’historien ». Bref : avant 1789, le vers ; après 1789, la prose, tel fut le « double langage » que je décidai d’adopter, conscient que l’utilisation du vers pour traiter un sujet récent ne pourrait se concevoir que dans un esprit parodique, donc étranger à la tragédie.

Mais ce n’est pas seulement parce que les pères fondateurs de notre théâtre l’ont porté à un haut niveau de perfection ou parce qu’il correspond à mon tempérament littéraire qu’il faut se battre pour la réintroduction de l’alexandrin dans le langage de scène. C’est d’abord pour lui-même, en tant que vecteur possible des plus hautes émotions dramatiques, qu’il convient de le ressusciter !

Mais, diront certains, la Comédie Française et les bonnes volontés qui continuent à se faire jour, en dehors d’elle, pour la transmission de notre patrimoine suffisent amplement à cette tâche !

Je ne suis pas sûr qu’à cantonner l’alexandrin de théâtre à la représentation de chefs-d’œuvre consacrés de Corneille à Rostand, on travaille si efficacement à sa promotion. Ce faisant, ne lie-t-on pas trop étroitement son sort à celui de textes qu’on ne réécrira plus ? Au rythme où trop d’enseignants précipitent les humanités et les classiques aux oubliettes, ne doit-on pas craindre que dans vingt ans, seuls quelques « anciens » nostalgiques, bien incapables de se déplacer pour aller au théâtre, se souviennent encore que Corneille, Racine, Hugo, Rostand ont existé ?

Et alors, l’alexandrin dramatique aura sombré avec eux ! Nos grands acteurs diseurs de vers, « trésors vivants »au sens japonais du terme, ne trouveront plus à employer leur savoir ! Un deuxième pan de notre culture s’effondrera… Double défaite, sur le fond et sur la forme, aux conséquences incalculables.

J’affirme donc que l’appoint de nouveaux créateurs s’avère indispensable si nous voulons sauver cet irremplaçable élément de notre civilisation, si merveilleusement adapté à la haute tragédie historique, du moins, comme nous l’avons vu, si elle se déroule avant 1789.

Si l’on considère que la plupart des sujets traités par nos grands dramaturges du XVIIème siècle se situent dans l’antiquité gréco-romaine et que Corneille, traducteur inspiré de « L’imitation de Jésus-Christ », n’a abordé le christianisme que dans « Polyeucte » (dans « Le Cid », comme le remarque Brasillach, le nom de « Dieu » est à peine prononcé, au temps de la Reconquista !), Racine n’ayant évoqué que l’Ancien Testament dans « Esther » et « Athalie » ; que les meilleurs drames de Hugo sont espagnols et qu’il n’a été donné à Rostand que d’écrire deux chefs-d’œuvre, « Cyrano » et « L’Aiglon », ce ne seront pas les thèmes qui nous manqueront !

Voilà ce qu’envisageait mon illustre prédécesseur Henri Ghéon en 1923 : « Hormis quelques fabliaux un peu crus, le trésor immense de nos aïeux, plein de gaîté, d’émotion, de foi, qui n’a pas été exploité, ni par le Moyen Age faute de maturité, ni par l’âge classique faute d’approbation, ni par le romantisme faute de conviction précise ; celui qu’aurait sauvé et mis en forme le Shakespeare français qui, dans d’autres conditions historiques, se serait levé au grand siècle pour réaliser le miracle du drame chrétien national : la France n’a pas encore le sien ».

Certains d’entre vous penseront peut-être que je mets « la barre trop haut », que les « jeunes d’aujourd’hui » ne peuvent plus apprendre l’alexandrin etc. Je répondrai que celui-ci, pour difficile qu’il soit, facilite grandement la mémorisation ; plus largement, qu’il existe chez nos jeunes une exigence de qualité qu’il convient de satisfaire dès lors qu’on les respecte. Ce n’est pas avec des pièces de patronage qu’on affronte une crise de civilisation !

Puisque nous avons parlé de « stratégie », il m’appartient maintenant de fixer des délais.



Pour ma part, je suis encore pour dix ans dans ce qu’on appelle la « vie active » ; dix ans pendant lesquels je suis, certes, toujours tenu de produire des œuvres dramatiques, mais sans pouvoir participer le moins que ce soit à leur promotion auprès des directeurs de théâtre, des metteurs en scène, d’un public potentiel… Ce seront donc les initiatives que chacun de vous pourra prendre, dans l’esprit que j’ai défini, qui constitueront ma seule, et d’ailleurs la meilleure, publicité.

Tentons d’imaginer ce que sera devenu le théâtre français dans dix ans. A moins que le feu du Ciel ne se soit abattu sur Sodome et Gomorrhe, nous aurons vu sur nos planches les plus officielles l’inceste, l’inversion, la pédophilie, que sais-je encore depuis qu’en Avignon des acteurs se sont déshonorés à pisser et à déféquer sur scène à grand renfort de subventions officielles([1]) ? Les directeurs de théâtre qui auront refusé tous les compromis seront encore moins nombreux qu’aujourd’hui ; mais ce seront les meilleurs, ceux qui auront résisté le plus longtemps.

Alors, lorsque j’irai les trouver avec, dans mes cartons, si Dieu veut, une bonne quinzaine de pièces non seulement rédigées, mais déjà rôdées sur certains scènes de fortune, dans certains collèges de bonne réputation, ayant déjà donné à des acteurs un peu aventureux un nouveau champ d’expansion à leur maîtrise de l’alexandrin, croyez-vous que ces directeurs de théâtre pourront sérieusement me réserver autre chose qu’un excellent accueil ? Quelque chose de grand, un marché potentiel déjà en gestation seront en effet à leurs portes, ils ne pourront plus se dérober. Le moment sera alors venu, grâce à ce que nous aurons entrepris ensemble, de passer à la vitesse supérieure. Non, vraiment, je ne désespère pas de voir publier, de mon vivant, mes « œuvres complètes » - je n’ai pas dit nécessairement à la « Pléiade » !

Me voici parvenu au bout de ma réflexion sur la « stratégie ». Les rôles de chacun ont été distribués. Merci de votre attention.


ALAIN DIDIER



([1])        Dans un spectacle de Jan Fabre.


quel avenir pour LE Théâtre en vers ?


Le théâtre en vers face à la situation de la scène contemporaine (mode et contingences matérielles)

« On peut se demander pourquoi écrire aujourd’hui une pièce en vers apparaît comme une gageure », s’interrogeait récemment Jacques Charpentreau dans les Chroniques du coin de l’œil (Le Coin de table, avril 2004).

Voilà qui m’a donné l’idée de rouvrir de vieux cartons. Et je revois au mur une casquette, une gabardine ; par la fenêtre, la rade de Brest qui s’étalait ; et sur ma table, au-dessus de nombreux feuillets, les quatre vers de ma tragédie Néron, auxquels j’essayais de m’astreindre quotidiennement. C’était en 1991. J’utiliserai comme fil conducteur, au long d’une partie du présent article, le souvenir d’une expérience qui m’aura permis de percevoir in concreto les difficultés matérielles et celles, plus fondamentales, qui s’opposent à l’émergence d’un nouveau répertoire de théâtre en vers : il s’agit non point de nombrilisme, mais de la volonté de partir d’une expérience vécue, fût-elle aussi insatisfaisante et contestable que l’on voudra. Que l’on voie donc, dans les quelques passages que Le Coin de table a l’amabilité de publier à la suite de cet article, l’illustration d’une tentative qui m’a amené à formuler les présentes réflexions, et non pas un exemple de la réalisation des ambitieux objectifs qu’elles évoquent !

Pourquoi avais-je décidé alors d’écrire une tragédie en vers ? Lire la suite

jeudi 4 août 2011

Alain Didier



LE THEATRE EN VERS D'ALAIN DIDIER*

1950 : Naissance d'Alain Didier

1966 Alain Didier signe la 1ère version de "TIBERIADE". La 3ème en 1975, sera sa 1ère pièce en vers réguliers et sera honorée d'une "2ème mention" au concours d'Arts et Lettres de France de 1978.

1978 : "LE SANG DES INNOCENTS", tragédie en un acte et 288 vers : une fiction à l'antique sur l'ordre et la révolution
1ère mention au concours d'Arts et Lettres de France de 1980. 
Publication dans la revue "L'astrolabe" en 1980.

2005 : "TIBERIADE", tragédie en 3 actes et  1154 vers (4ème version) La fin du royaume franc de Jérusalem (1187).
Lectures publiques par des amateurs à Strasbourg (28 mars 2007) à Notre-Dames-Du-Laus (22 septembre 2007).

2006 : "PONCE PILATE Le Pouvoir et la Vérité", évocation dramatique et historique en 3 actes et 1282 vers : Pilate face à la passion et à la résurrection du Christ.
Edition par Via Romana (janvier 2009).Lectures publiques par des amateurs à Notre-Dame-du-Laus (16 septembre 2006) et à Nevers (1er octobre 2011),Lectures publiques par des professionnels au Théatre du Nord-Ouest, à Paris (15 juin 2010), et dans la basilique de Neuvy-St.-Sépulcre, dans l'Indre (21-22 août 2010).

Lecture radiophonique sur Radio Courtoisie (mars 2009).

2007 : "BAUDOUIN DE TOULOUSE Passion et mort d'un Chrétien d'Oc", tragédie en 3 actes et 1460 vers : Le drame cathare revisité.

2010 : "EDEN ou la grande épreuve", tragédie en 3 actes et 756 vers (+ prose) : le péché originel ou l'Evolution.
Edition par Via Romana (juin 2011).

Lecture publique par des amateurs à Reims le 23 octobre 2011.
Lectures radiophoniques sur Radio Courtoisie le 31 janvier 2012 (version courte) et Radio Espérance le 9 septembre 2012 (version courte avec musique).
(avec "PONCE PILATE" et "QUAND IL REVIENDRA", drame en prose sur Faust, le clonage humain et l'Apocalypse (2008), "EDEN" forme une "trilogie chétienne" axée sur l'histoire du Salut)


ESSAIS THEORIQUES

1982 : "MA CONTRIBUTION AU THEATRE 1975-1980. Dans le sillage d'Henri Ghéon".

2007 : "RENAISSANCE DE LA TRAGEDIE. PRINCIPE. OEUVRES. STRATEGIE", conférence donnée à Paris et à Lille.

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* A.D. est également l'auteur de 5 tragédies en prose, sur des sujets contemporains.

jeudi 28 avril 2011

L'alexandrin

L'alexandrin est, en métrique française classique, un vers composé, formé de deux hémistiches (ou sous-vers) de six syllabes chacun. Les deux hémistiches s'articulent à la césure, qui est le lieu de contraintes spécifiques.
Les métriciens du xixe siècle ont cru pouvoir identifier deux formes d'alexandrin : le tétramètre, ou alexandrin classique, et le trimètre, forme particulière apparue à l'époque romantique. On tend aujourd'hui à considérer que ces découpages rythmiques secondaires ne relèvent pas à proprement parler de la métrique et que, par conséquent, ils ne sauraient participer de la définition de l'alexandrin1. 
On ne saurait en revanche se contenter de définir l'alexandrin comme un vers de douze syllabes : les composants de l'alexandrin sont les hémistiches, et les syllabes ne sont que les composants de l'hémistiche. 


On lit parfois que l'alexandrin compte douze pieds, mais le terme de « pied » ne désignant dans ce cas pas autre chose que des syllabes, il vaut mieux l'éviter.




source Wikipédia

L'objectif de ce blog

  • 1. Susciter un regain d'intérêt pour les nouvelles tragédies en vers ;
  • 2. Fédérer les initiatives des auteurs, professionnels et amateurs du spectacle, éditeurs... en ce sens ;
  • 3. Augmenter l'audience des oeuvre des auteurs associés.